dimanche 30 octobre 2011

Ecrivains voyageurs de Laurent Maréchaux


Ce n'est pas Segalen qui est représenté sur la couverture de ce livre, publié ce mois-ci. Mais il est question de notre auteur à l'intérieur, pour quelques pages abondamment illustrées. Voici la présentation du livre par les éditions Arthaud :


Voyageurs, ils devinrent écrivains... Écrivains, ils se firent voyageurs Les uns - Loti, Conrad, Segalen ou Bouvier - partent au bout du monde pour courir après les rêves nés de leurs lectures d'enfance ; les autres - Kipling, London, Kessel ou Chatwin - prennent la route pour nourrir leurs pages blanches. Les arpenteurs d'océans - Slocum, Kavvadias ou Moitessier -, de déserts - Thesiger - et de cimes enneigées - Alexandra David-Néel - font leurs les propos de Stevenson : « Je ne voyage pas pour aller quelque part, mais pour voyager. Je voyage pour le plaisir du voyage. » Quant aux plumitifs en herbe - Cendrars, Simenon ou Gary -, ils proclament, à l'instar de Kerouac : « Écrire est mon boulot... Alors il faut que je bouge ! » Les bourlingueurs finissent, pour combler leurs poches vides, par coucher sur le papier le récit de leur périple ; les romanciers en devenir commencent par écrire, puis, quand l'imagination leur fait défaut, partent se confronter au monde pour s'en inspirer. Curieux infatigables, la plupart notent les épreuves qu'ils endurent, les rencontres qui les bouleversent et les belles histoires glanées ici ou là. Le voyage les transforme, ils décrivent leur métamorphose, cet autre qui naît en eux. De retour, ces vagabonds retracent, souvent en les magnifiant, les aventures qu'ils ont vécues. Tous - sans se préoccuper de savoir s'ils sont voyageurs avant d'être écrivains, ou l'inverse - entendent dire le monde, transmettre leur passion pour la littérature d'aventure, et inciter leurs lecteurs à boucler leur sac pour emprunter leurs pas.


mercredi 26 octobre 2011

Expositions Cernuschi et Daoulas

Exposition au musée Cernuschi, 17 septembre 2011

L'actualité récente de deux établissements culturels prestigieux, le musée Cernuschi et l'abbaye de Daoulas, a permis aux membres de l'Association de se réunir autour de Segalen.
J'invite les visiteurs de ces deux expositions, que ce soit dans le cadre de la réunion des membres de l'Association ou pas, à formuler leur appréciation et leur avis, en espérant qu'ainsi nous échangerons nos points de vue. Veuillez pour cela cliquer sur "commentaires" ci-dessous.
Exposition à l'abbaye de Daoulas, 23 octobre 2011


Dominique Vaugeois, Segalen & l’esthétique, au prisme de ses écrits sur l’art : entre critique & création.

Victor Segalen, Œuvres complètes, I. Œuvres critiques, vol. 2, Premiers écrits sur l’art (Gauguin, Moreau, Sculpture), textes établis par C. Camelin et C. van den Bergh, annotés et commentés par C. Camelin& vol. 3, Chine. La Grande Statuaire, édition critique par P. Postel, Paris : Honoré Champion, coll. « Textes de littérature moderne et contemporaine », 2011, 456 p. & 760 p.


Une édition critique des œuvres complètes
La reconnaissance de l’œuvre de Victor Segalen par la communauté des chercheurs en sciences humaines, établie dans les années 1990, trouve aujourd’hui un nouveau et bel accomplissement avec une deuxième édition des Œuvres complètes1 dirigée par Philippe Postel chez Honoré Champion. Dix-huit volumes sont prévus, répartis en cinq grands ensembles : 1. les oeuvres critiques, 2. les romans, nouvelles et récits, 3. la poésie, 4. le théâtre et l'opéra, et 5. les journaux, les chroniques et les projets. Pour l'heure, deux volumes sont parus : Premiers écrits sur l'art (vol. 2 des « Œuvres critiques ») etChine. La Grande Statuaire (vol. 3 des « Œuvres critiques »)2. Pour Ph. Postel, l’esprit qui préside à cette publication est à la fois scientifique (établissement des textes selon un protocole commun aux différents livres : fidélité au manuscrit dans sa version finale/et ou intégrale et mise à disposition du lecteur des notes, variantes et documents de travail) et comparatiste (une attention toute particulière est portée à la double culture dans laquelle se place l’écrivain : française et maori, française et chinoise).
La profonde unité des textes publiés, écrits ou projetés par Segalen dans les quatorze années environ où il put se livrer à l’écriture rend délicate et toujours discutable la répartition en tomes. L’édition d’Henri Bouillier en 1995, globalement chronologique elle aussi, s’en sortait élégamment en proposant une organisation thématique en « cycles ». Le choix éditorial de l’édition Champion, ouvertement générique, offre un éclairage nouveau particulièrement sensible en ce qui concerne les volumes 2 et 3 de la section « Œuvres critiques » dont nous avons à rendre compte. Il témoigne d’une autre reconnaissance, celle de l’importance de Segalen dans le domaine de l’essai et particulièrement des écrits sur l’art et confirme en retour la pertinence de cette catégorie de texte. On aurait pu tout à fait imaginer une répartition de ces écrits entre les récits en prose et les chroniques. Or Le Maître du jouir (vol. 2), que Segalen nomme « roman » ou « épopée », fait sens dans l’ensemble que C. Camelin nomme « Premiers écrits sur l’art » mieux que dans celui des « romans, nouvelles et récits », malgré son lien profond avec Les Immémoriaux (paru en 1907, l’année des premières ébauches du « roman Gauguin »). Et la présence de Chine. La Grande Statuaire, qui occupe à lui seul le troisième volume, modifie considérablement la perception de l’ensemble critique, par son genre comme par son ampleur et son ambition.
En somme, l’édition thématique de 1995, où les textes inspirés par la découverte de Gauguin figurent dans le cycle Polynésien — de même que La Grande Statuaire appartient au cycle chinois et archéologique aux côtés de Stèles ou de Thibet —, invitait à une lecture d’un Segalen écrivain voyageur, penseur de l’autre et du divers, angle privilégié de la redécouverte du poète à la fin du xxe siècle. Sans occulter, bien au contraire, cette dimension fondamentale que l’édition critique deLa Grande Statuaire vient justement préciser, les nouveaux choix éditoriaux accentuent un autre aspect : celui de la place de Segalen dans l’histoire culturelle, artistique et philosophique, du début duxxe siècle, et d’une écriture prise entre création et critique, entre littérature et savoir.
Toutefois, malgré cette ligne éditoriale générale, les deux livres sont assez dissemblables dans l’apparat critique qu’ils proposent et finalement dans leur projet.

Segalen, gauguin : le climat d’une pensée


Le volume 2 comprend sept textes, dont six écrits entre 1903 et 1908, c’est à dire avant et pendant le premier livre publié, Les Immémoriaux, et un texte plus tardif, « Hommage à Gauguin », préface de 1916 à l’édition des lettres de Gauguin au peintre G.-D. de Monfreid. Le principe organisateur est explicitement celui de la relation de Segalen à l’œuvre et à la vie de Gauguin. L’étude sur Gustave Moreau3et la conférence sur la sculpture sont présentées dans l’introduction comme un « approfondissement des réflexions sur les beaux-arts parallèles aux textes consacrés à Gauguin » (p. 9). Si les textes réunis n’ont pas été publiés du vivant de l’auteur, comme la moitié des écrits de Segalen, le livre n’offre pas d’inédit par rapport à l’édition de 1995. Nous avons néanmoins affaire à une édition critique et la leçon des manuscrits autorise à corriger certaines coquilles perpétuées jusqu’ici dans les différentes éditions — notamment dans l’article de 1904 du Mercure de France — et qui donne accès aux très riches variantes, dossiers préparatoires, brouillons, projets, notamment pour Le Maître du jouir, texte inachevé, dont le lecteur est à même de saisir l’importance et de reconstituer le dialogue qu’il entretient avec Les Immémoriaux.
Le second apport majeur de ce volume à la nouvelle entreprise éditoriale tient à la valeur des commentaires, introduction, notices et annotations, dont le mérite est de fournir un cadre historique à la fois complet et synthétique à ces premiers écrits. La longue introduction, appuyée sur de très nombreuses références littéraire et critiques, se propose de reconstituer le contexte intellectuel de « crise des valeurs symbolistes4» et d’« orientalisme antimoderne » (p. 21) dans lequel se forme la pensée de Segalen. C’est donc un poète lecteur de La Revue blanche et du Mercure de France, de Husymans, de Nietzsche et de Jules de Gaultier dont Colette Camelin met en avant l’influence, que nous (re)découvrons. La philosophie de l’exote, sans laquelle on ne peut rien comprendre aux écrits de Segalen, y est ressaisie dans la confrontation avec d’autres notions d’époque autour desquelles s’organise avec profit la présentation : « exote, hors-la loi, dandy et surhomme », « décadence, entropie et primitivisme ». La conclusion résume bien le recadrage par l’histoire des idées qu’ambitionnent les copieux commentaires (qui n’évitent pas toujours, d’une notice à l’autre, les répétitions) :
La critique de la fin du xxe siècle a parfois un peu trop tiré Segalen vers les questions contemporaines de l’ethnocentrisme ou de l’écriture romanesques, alors que son projet consisterait plutôt à rendre « aux hommes [ses] frères », « la Valeur de la Vie ». (p. 46)
Mais autant qu’à la pensée de Segalen, c’est à celle de Gauguin que donnent accès notes et notices qui citent largement les écrits du peintre comme sa correspondance. L’usage à la fois généreux et judicieux des lettres, celles, passionnantes, de l'écrivain comme celles du peintre, est d’ailleurs l’une des ressources capitales de cette édition. « Gauguin l’intercesseur » comme le nomme C. Camelin est donc bien le héros de ce livre. La pensée de Segalen est constamment mise en dialogue avec celle du peintre qui s’inscrit dans une longue série d’artistes dont les mots et les idées autant que les œuvres ont inspiré les hommes de lettres. À cet égard, le volume constitue un apport de premier plan à la compréhension de ce qu’a pu signifier au début du xxe siècle, écrire sur la création plastique et sur les artistes au moment où naissent et se définissent les valeurs de culture et de civilisation. Au delà de la simple critique journalistique ou de salon, c’est la définition d’un champ essayiste prééminent qui est en jeu, à un moment aussi où, prolongeant les initiateurs du siècle précédent — Baudelaire et Nietzsche sur ce plan fraternisent —, l’esthétique est le lieu commun d’une pensée qui allie philosophie, anthropologie et poésie bien au-delà du domaine des « belles formes » et stimule l’inventivité littéraire. Parce qu’il rassemble et éclaire les uns par les autres ces écrits, le livre verse un élément considérable au dossier de la prose sur l’art dont Segalen illustre, aussi bien qu’Apollinaire ou Valéry, la fécondité et l’infinie variété. Chaque texte de l’ensemble Gauguin peut en outre se lire aussi comme une réécriture, une nouvelle version, une mise à l’épreuve d’un même projet qui cherche à atteindre sa forme rêvée avec Le Maître du jouir. L’important dossier génétique de ce texte invite par exemple à s’étonner à nouveau à propos d’un récit dont la filiation avec les « romans de peintres » duxixe siècle, convoquée dans la notice, n’est peut être pas si évidente, de même que s’y trouve considérablement complexifiée le relation trop vite dite gémellaire de l’auteur à son héros, de l’écrivain au peintre.
Les grandes qualités du commentaire ne vont pas sans leurs petits défauts qui n’entament en rien l’intérêt de l’ouvrage ou le sérieux du travail. Le souci louable de maintenir la référence constante à la pensée de Gauguin tout en précisant l’originalité de celle de Segalen égare parfois par trop de dialectique comparative (p. 33 de l’introduction par exemple et p. 37 38, où la comparaison apparaît un peu trop soutenue). Enfin, l’introduction s’appuie sur des études éclairantes (Antoine Compagnon pour les « antimodernes », Per Buvik pour le bovarysme de J. de Gaultier, Philippe Dagen pour le primitivisme) mais dont les concepts et les analyses s’entrechoquent parfois, mêlés aux mots du poète dans l’espace synthétique de la préface, jusqu’à risquer de devenir contestables. Il est dommage d’ailleurs que l’ouvrage de Ph. Dagen, Le Peintre, le poète, le sauvage, abondamment cité (onze occurrences), soit la seule référence d’histoire de l’art convoquée — si l’on excepte l’excellente bibliographie sur Gauguin. En effet son étude, qui ne distingue pas clairement entre art archaïque, préhistorique et primitivisme brouille parfois plus qu’il n’éclaire l’usage de ces notions dont Segalen, cité toujours judicieusement par C. Camelin, fait par ailleurs un usage très cohérent.

Une histoire vivante et passionnée de la sculpture chinoise


Le volume 3 édité par Ph. Postel, comparatiste spécialiste du domaine chinois, est d’un style tout différent. Livrant un texte unique, le commentaire se limite à une brève introduction qui reprend explicitement des analyses publiées antérieurement6. La richesse et la nouveauté ne sont donc pas dans la glose mais dans le document lui-même et ses annexes qui livrent le résultat d’un travail de longue haleine. Il ne s’agit pas tant de la réédition d’un texte assorti de ses variantes et de ses brouillons que de la première édition intégrale, fidèle, complète, du manuscrit dont le titre définitif donné par Segalen en 1918 est Chine. La grande Statuaire. L’introduction précise que le livre a été publié une première fois en 1972, aux éditions Flammarion7, grâce aux soins d’Annie Joly Segalen et du sinologue Vadime Elisseeff, auteur d’une postface ;
L’œuvre a ensuite été rééditée sans changement en 1995 par H. Bouillier […] Or le texte ainsi transmis aux lecteurs ne rend pas justice au manuscrit […]. Il est tout d’abord incomplet : non seulement il manque systématiquement la dernière partie de l’ouvrage, publiée de façon dissociée sous le titre Les Origines de la statuaire de Chine, ainsi que le texte intitulé « Orchestique des tombeaux chinois » qui figure au centre de l’ouvrage, mais il manque encore de très nombreux passages du texte […]. (p. 9)
Par ailleurs, « le texte lui-même a été retouché, parfois récrit » (p. 9), dans le « souci de transmettre un texte lisible et achevé » (p. 10). L’ambition affichée de cette réédition est alors de respecter « l’esprit même de l’ouvrage », qui n’est pas de « vulgarisation sinologique », en restituant « une œuvre de création littéraire, complexe dans sa diversité » (p. 10) et dans son inachèvement même. L’édition du manuscrit linéaire proprement dit est donc accompagnée des « Notes de lecture » et des « Notes de travail » auxquelles l’éditeur renvoie de façon très utile par des notes de bas de page. Les planches photographiques auxquelles Segalen accordait un soin tout particulier et les croquis de l’écrivain, intégralement publiés avec le texte, participent aussi de la transmission de cet « émoi d’aventure personnelle » (p. 54) qui justifie pour Segalen toute l’entreprise.
Les annexes sont tout aussi appréciables : table des dynasties chinoises, itinéraires suivis par Segalen, sites principaux mentionnés dans les écrits. La bibliographie recense également tous les ouvrages cités par l’écrivain. Le lecteur ou le chercheur, ni sinologue ni archéologue, et qui n’a ni le loisir ni les moyens d’établir le fond d’expertise, de connaissances et d’expérience sur lequel s’établit cette monumentale entreprise est comblé et plein de reconnaissance. Cette « histoire passionnée de la sculpture dans la Chine antique » (p. 620), selon les termes du programme de 1917, devient alors un fascinant terrain d’analyse pour celui qui s’intéresse aux relations entre littérature et savoir et au déplacement des frontières hâtivement tracées entre l’imagination sensible au mystère, l’enthousiasme personnel et la rigueur érudite. On ose à peine tempérer cette lecture enthousiaste par une petite remarque sur le caractère touffu de la bibliographie et rectifier la référence introductive à la célèbre citation de Baudelaire sur la critique, qui appartient non au Salon de 1859 mais à celui de 1846.
Ce beau travail d’édition est donc à tous égards précieux pour les études ségaléniennes comme pour la recherche sur l’écriture critique et l’essayisme. L’énergie consacrée par un écrivain aux arts de la matière et à la sculpture en particulier — celle de Gauguin comme celle de l’antique Chine — témoigne du rôle qu’a pu jouer l’écrit sur l’art en France jusque dans les années 1960 environ, celui d’un terrain d’exploration et de réflexion à l’intérieur d’une pensée plus générale, dont en ce qui concerne Segalen, les chapitres et notes de l’Essaisur l’exotisme (vol. 4, à paraître) ne permettent pas de mettre en doute l’envergure.
Publie sur Fabula/Acta le 25 octobre 2011 : Pour citer cet article :Dominique Vaugeois, "Segalen & l’esthétique, au prisme de ses écrits sur l’art : entre critique & création", Acta Fabula, Editions, rééditions, traductions, URL : http://www.fabula.org/revue/document6552.php

jeudi 1 septembre 2011

L'exotisme ou la tentation d'une histoire immobile





Les Actes du colloque qui s'est tenu à Brest les 26 et 27 mai 2011 sur le thème "L'exotisme ou la tentation d'une histoire immobile", en lien avec l'exposition de l'abbaye de Daoulas, sont parus. Il s'agit d'un très beau petit volume (141 pages), abondamment et très agréablement illustré, comprenant, outre les préfaces, treize articles qui concernent tous l'oeuvre de Victor Segalen. En voici le sommaire :

  • Marie-Armelle Barbier, "Donner le nom de Segalen à une institution, un choix qui engage ?"
  • Jean-Pierre Zarader, "L'exotisme de Victor Segalen ou la passion de la différence"
  • Marie Dollé, "A la recherche de la mémoire perdue"
  • Colette Camelin, "Gauguin et le Maître-du-Jouir de Segalen"
  • Jean Balcou, La vision polynésienne de Segalen à travers Gauguin
  • Sophie Gondolle, "Noa Noa jeu d'ombre et de lumière"
  • André Guyon, "Le regard qui s'onverse, Victor Segalen et Jules Romains"
  • Philippe Postel, "Victor Segalen, poète archéologue : l'aventure de la grande statuaire"
  • Karine Thépot-Caudan, "L'exotisme de la femme tahitienne"
  • Jean-Luc Coatalem, "Segalen, Gauguin, une démangeaison d'inconnu"
  • Jean-René Bourrel, "Les Immémoriaux, réflexion su une inversion de tropiques"
  • Anne Bihan "Presqu'une "stèle""
  • Téaki Dupont-Teikivaeoho, "Mon île Marquise, d'héritages en métissages".
Vous pouvez commander l'ouvrage (10 euros + frais de port) auprès de M. Pierre Nédellec à l'abbaye de Daoulas.

mardi 30 août 2011

Victor Segalen et le roi Dagobert


La librairie Dialogues de Brest organise une rencontre avec l'écrivain Daniel Kehr le mercredi 21 septembre, à l'occasion de la publication de son livre Victor Segalen et le roi Dagobert.

Voici le texte de présentation transmis par la librairie :
Médecin de marine, écrivain et poète de talent, voire de génie, Victor Segalen reste méconnu. Sa notoriété ne dépasse pas le cercle des colloques universitaires. Le propos de Daniel Kerh est de le libérer de cet enfermement, en allant à la rencontre de l’homme. Portrait-miroir, polémique, pessimiste, ce journal de Daniel Kerh révèle autant de son auteur que de celui qu’il entend nous faire mieux connaître.
Daniel Kerh est né près de Brest, en 1943. S’il a écrit quelques romans, plusieurs livres sur le cyclisme, il n’a jamais privilégié l’événementiel. Seule lui importe la destinée humaine. Il l’aborde par une approche quotidienne et humble. Initiée par deux récits (Mémoire de Bus, Le Complexe du Rémouleur), il élève sa quête en se confrontant à Victor Segalen, homme au talent immense. 
(Information transmise par Bruno Bisson).

Segalen et Saint John Perse

Saint John Perse
Colette Camelin donne une conférence dans le cadre de la manifestation Voyage et patrimoine organisée par la Médiathèque de Châlons-en-Champagne le jeudi 28 septembre à 18 h 30

« Segalen et Saint-John Perse : deux poètes voyageurs »

Segalen et Saint-John Perse ont beaucoup voyagé pour goûter « l’intensité du Divers » (Segalen) et la variété des « hommes en leurs voies et façons » (Saint-John Perse). Nous les suivrons jusqu’aux îles du Pacifique, d’où ils ont rapporté des œuvres qui figurent aujourd’hui dans notre patrimoine (Gauguin pour Segalen). La conférence s’achève sur l’envol des oiseaux de Braque célébrés par Saint-John Perse.

Adresse : 
Bibliothèque Georges Pompidou
68 rue Léon Bourgeois
51038 Châlons-en-Champagne.

Exposition Segalen à Daoulas (rappel)


Nous vous rappelons la tenue de l'exposition consacrée aux liens de Segalen avec la Polynésie à l'abbaye de Daoulas. Vous pouvez consulter en ligne le "teaser" de cette manifestation en cliquant ici (transmis par Martine Courtois).

jeudi 14 juillet 2011

Du bon usage de l’exotisme - Autour de Victor Segalen et Alain Kremski

Tout un monde sur France Culture


L'émission de France Culture "Tout un monde" de Marie-Hélène Fraïssé était partiellement consacrée le 19 juin dernier à Victor Segalen  : vous pouvez l'écouter iciMerci à Huang Bei pour cette information.


Voici la présentation sur le site de France Culture :
Un poète qui se voulait « exote » et qui eût la révélation initiale à Tahiti : Segalen, auquel une exposition est consacrée à l’abbaye de Daoulas, en Bretagne : « Victor Segalen et l’exotisme – rencontres en Polynésie » (jusqu'au 6 novembre) .
Un musicien fasciné par les musiques et instruments d'Asie : Alain Kremski, qui a quitté les chemins d'une carrière toute tracée,  pour explorer l'univers des cloches de temples, des gongs, des bols chantants tibétains, puisant son inspiration dans les musiques de l'Inde, de Bali ou du Japon, autant que dans les chants grégoriens anciens ou les musiques du Moyen-Age.

Segalen au Musée Cernuschi



Le Musée Cernuschi a choisi de célébrer l'oeuvre et la figure de Victor Segalen à l'occasion des Journées du Patrimoine les 17 et 18 septembre 2011.
Sont prévues des conférences, une lecture de Stèles ainsi qu'une présentation d'estampages que Segalen a rapportés de Chine et donnés au musée.
Voici le détail, transmis par Maryvonne Deleau (Service des publics et de la communication) :

Dans le cadre des journées du patrimoine 2011, le musée Cernuschi rend hommage à Victor Segalen (1878-1919), médecin, voyageur et écrivain.
Exceptionnellement, des estampages de stèles chinoises datant de près de 2000 ans et ayant appartenu à V. Segalen seront sortis des réserves du musée. Ces œuvres jamais présentées au public ont été données par Segalen lui-même en 1914 et ont fait l’objet d’une récente campagne de restauration.
Le public pourra découvrir ce grand voyageur au travers de conférences consacrées à sa vie, sa correspondance avec Henri d’Ardenne de Tizac, directeur du musée de 1905 à sa mort en 1932, les techniques des estampages et leur restauration.
Une lecture d’écrits sur la Chine, et des extraits de Stèles, poèmes écrits à Pékin par V. Segalen en 1912, complètera le programme de ces Journées du Patrimoine.
Samedi 17 septembre :
14h : Victor Segalen, l’homme, le voyageur  par Marie Dollé (professeur à l'université d'Amiens)
15h : La correspondance entre Victor  Segalen et Henri d’Ardenne de Tizac par  Eric Lefebvre, conservateur au musée Cernuschi et commissaire de l’exposition.
16h : La restauration des estampages de la stèle de You Shixiong, représentant les six coursiers de l’empereur Tang Taizong par Pauline Chassaing, restauratrice du patrimoine.
17h : Lecture de Stèles, poèmes de Victor Segalen par Olivier Leymarie, comédien.
Dimanche 18 septembre :
14h  et 16h : Lecture de Stèles, poèmes de Victor Segalen par Olivier Leymarie, comédien
15h : Présentation des estampages suivie d’une courte conférence sur Victor Segalen, l’homme et les échanges qu’il eut avec Henri d’Ardenne de Tizac.


Musée Cernuschi
Musée des arts de l’Asie de la Ville de Paris
7 avenue Vélasquez
75008 – Paris
tél : 01 53 96 21 50
fermé le lundi
ouvert de 10h à 18h

mercredi 13 juillet 2011

Traduire Peintures par Huang Bei

Peintures et l'Essai sur l'exotisme, traduits par Huang Bei

La traduction de Peintures : quelques notes de réflexion

Ce texte représente quelques notes très libres tirées de l’expérience personnelle. Elle ne se prétend pas d’être une étude académique. Cette réflexion doit beaucoup à Muriel Détrie, fine connaisseuse de la culture chinoise et observatrice attentive de phénomènes de traduction. Qu’elle soit remerciée chaleureusement.
La sortie de la traduction chinoise de Peintures de Segalen (Shanghai, éditions de Shanghai shudian, 2010) a été pour moi une grande joie. Mais comment faire partager cette expérience de traduction, singulière comme chacune de ces expériences, remplie de hasards, d’intuitions, de trouvailles heureuses comme malheureuses ? Je laisse de côté les détails, dont la recherche de solution implique à chaque fois un mélange de souffrance et de délice, pour ne parler que des généralités, ayant rapport à deux aspects essentiels de l’écriture de Peintures : le rythme et l’exotisme.

Traduire le rythme

Avant de me plonger dans l’univers du sens, Peintures m’a d’abord séduite par sa musique. Ce sont des peintures « littéraires », souligne Segalen ; voire plus : « Ces sont des peintures parlées. » Tel un grand rouleau qui se déploie, la parole fait son chemin dans le temps du livre, chantant et dansant, rythmé de cadences tout à la fois sonores et visuelles.

Le rythme musical
Quelques mots sur la traduction du rythme musical. Les procédés sont nombreux et personnels, tant les choix sont riches entre deux ressources rythmiques venant des deux langues. Ci-dessous, quelques exemples au hasard :

Exemple 1
(fr.)
La face et les yeux rougeoient ; les prunelles se piquent d’étincelle…  
et son cou renversé, / brûlé de lueurs rousses, // et ses lèvres /éclairées de fièvres…
(Portrait fidèle)
(ch.)
的面頰紅亮,的眸子閃光,的目光含笑……
頭往後仰,橘紅的光暈斑駁地烙在頰上;嘴唇發燒,被燒得熠熠放光……

Ici, l’allitération rendue par la répétition de « l » dans « la », « les », « les », est remplacée, dans la traduction chinoise, par la répétition de « 他 » (il). En même temps, « 面颊红亮 », « 眸子闪光 », « 目光含笑 » sont trois groupes composés d’un nom et d’un verbe, dont la structure se font échos.
De la même façon, dans la phrase suivante, le rythme né de la répétition de « et » est remplacé par « 他 ». Le rythme impliqué dans les deux groupes composés d’une séquence courte et une séquence longue (« son cou renversé, / brûlé de lueurs rousses », « ses lèvres /éclairées de fièvres ») est rendu, dans la traduction chinoise, également par l’alternation entre un court et un long (« 頭往後仰,/橘紅的光暈斑駁地烙在頰上 », « 嘴唇發燒,/被燒得熠熠放光 »).

Exemple 2
(fr.)
…c’est la dormeuse, la pleureuse, la volubile mer dont on va dire le nom… (extrait de Cortèges et trophée des tributs des royaumes)
(ch.)
睡意綿綿眼淚汪汪,言語滔滔。它是海。至於它的名字,你們就會知道……

Dans la phrase originale, « dormeuse » et « pleureuse » étant deux adjectifs partageant un suffixe « euse », se répètent et se lovent comme des algues, font naître une sorte de rythme interne languissant. Les voyelles précédentes - « or » pour « dormeuse » et « eu » pour « pleureuse », renforcent encore l’effet de répétition et d’interpénétration.
C’est précisément cet effet-là que j’essaie de rendre, dans la traduction chinoise, par deux groupes composés d’un nom et d’un verbe – 睡意綿綿, 眼淚汪汪 –, renforcés par le troisième –言語滔滔 (traduction de « volubile »). « 綿綿 », « 汪汪 », « 滔滔 » : ces trois mots composés de deux caractères identiques, créent, non pas par la répétition entre les mots, mais par celle à l’intérieur de chaque mot composé, une sorte d’effet sonore languissant, répondant ainsi à la phrase originale tant sur le plan musical que sur le plan sémantique (tous les trois impliquent une dimension de lenteur et de débordement). Tandis que sur le plan visuel, « 汪汪 » et « 滔滔 » partagent le même clé de caractère, qui est celui de l’eau. Par ailleurs, le mot «綿 », prononcé comme « mian », correspond à la consonne « m » dans « dormeuse », créant une atmosphère somnambule proche de l’intention de l’écrivain.

Exemple 3 :
(fr.)
Elle est belle par la beauté, les mains longues, le cou gras, l’enroulée de ses cheveux et la retombée de ses yeux. (Portrait fidèle)
(ch.)
这位女子天生麗質,玉手纖纖,領如蠐蝤,青絲纏卷,眼簾低垂。

Il s’agit d’un exemple d’énumération, de substantifs ou de qualificatifs, qu’on rencontre fréquemment dans Peintures. La solution en chinois se trouve souvent dans l’usage d’une série d’expressions de « quatre caractères », dont la langue chinoise est très riche. Dans l’exemple cité ci-dessus, « les mains longues », « le cou gras », « l’enroulée de ses cheveux », « la retombée de ses yeux », constituent quatre éléments juxtaposés, lesquels sont rendus, dans la phrase traduite en chinois, par quatre expressions de structure « sujet-verbe ».
Cependant, « l’enroulée de ses yeux » au lieu de « ses yeux enroulées », « la retombée de ses yeux » au lieu de « ses paupières retombées », sont des inversions qui ne sont pas respectés dans la traduction. Ceci parce que, la langue chinoise étant plus concrète que la langue française, il est difficile d’employer un adjectif en tant que mot central dans la phrase.
Remarquons en passant que, « le cou gras » fait sans doute référence à l’un des éléments du critère de la beauté tel qu’il est évoqué dans Le Livre des odes (詩經): « 手如柔荑,膚如凝脂,領如蝤蠐,齒如瓠犀 » (les mains tendres comme des pousses de roseau, la peau blanche comme du gras gelé, le cou gras comme le vers qiqiu, les dents régulières comme des grains de courge). Le cou gras d’une femme, tel un vers blanc : et oui, cela faisait rêver les hommes chinois d’il y a trois milles ans !

Le rythme structural
Il existe également, dans Peintures, un rythme structural qui se scande à deux niveaux : les trois sections d’abord – Peintures Magiques, Cortèges et Trophée des tributs des royaumes, Peintures dynastiques – ; puis, une succession d’images à l’intérieur de chaque section. Pour rendre sensible cette double structure rythmique, j’ai choisi de travailler sur les titres. 玄幻圖、朝貢圖、帝王圖sont trois titres pour les trois sections, ayant tous trois caractères terminant avec « 圖 » (peinture). Ensuite, concernant Peintures Magiques et Peintures dynastiques, j’ai essayé d’attribuer, pour chacune des peintures à l’intérieur de ces sections, des titres chinois contenant un nombre de caractères à peu près équivalent. Cela donne, pour Peintures dynastiques, des titres réguliers de cinq caractères, dont les deux premiers indiquent le nom de la dynastie (夏朝的危岌,商朝的敗亡,周朝的羞恥, etc.), et pour Peintures magiques, dont l’élasticité correspondrait au caractère plus souple et plus changeant de cette section.

Traduire l’exotisme

Il arrive qu’un lecteur français, quand il n’a pas une grande familiarité avec la culture chinoise, éprouve une certaine difficulté devant l’œuvre de Segalen. « C’est du chinois ! » dirait-il. L’impression semble être confirmée, par un écho que j’ai entendu de la part de quelques lecteurs chinois : « C’est presque du chinois ! » Mais faut-il s’en réjouir ? Une assimilation à la culture et à la langue chinoise ne signifie-t-elle pas une perte – regrettable – de l’exotisme de Segalen qui, comme nous le savons, est non seulement une esthétique, mais un véritable procédé d’écriture ?

Cette perte me semble malheureusement inévitable. Elle provient surtout de la traduction des références culturelles touchant quatre aspects : les noms propres (personnages, régions, peuples, dynasties…), les images récurrentes dans la peinture chinoise (immortels volants, animaux mythiques tels que crapaud et lapin, portraits d’empereur…), les termes philosophiques spécifiques, ainsi que les allusions littéraires.

Pour en donner une illustration, Ronde des Immortels, la première des Peintures magiques peut servir d’un exemple représentatif. Le texte contient trois parties distinctes : description d’une peinture taoïste, explication de l’image selon la religion taoïste, expérience du regard du narrateur.
Dès la première phrase, le lecteur français, sans avoir une seconde pour s’y préparer, est brusquement « jeté » dans un univers étrange et étranger : « Et, d’un coup, nous voici jetés dans les nues, en plein ciel. Des toits griffus lancent des Palais dans les nues. » Des nues, le lecteur est amené à descendre son regard « jusqu’aux monts terrestres », puis à le remonter, pour contempler, « entre ciel et terre », « une esplanade losangique » et une volée d’« oiseaux blancs », dont chacun « emporte un de ces vieillards au front bossu, aux joues roses sur une barbe de craie, aux robes onduleuses déferlant dans le sillage ». Tout un décor curieux, qui dépayse, évidemment…mais seulement pour les yeux français. Traduit en chinois, le paysage perd son pouvoir de dépaysement, tant ces images taoïstes sont familières pour les yeux chinois.
Dans la deuxième partie qui livre une explication du sens, quelques termes taoïstes apparaissent, donnant au texte français une tournure proche de l’ésotérisme : « Les Esprits soufflent et règnent partout où Il veut. Ceci est la Peinture des Esprits, des Génies, des Immortels. Le mystérieux « Il », en majuscule, ne désigne pas autre chose que le Souffle originel, duquel sont nés les souffles – les « Esprits ». Dans la phrase suivante, le même terme – « Esprit » – désigne les Immortels, dont le corps, selon la théologie taoïste, est constitué d’essence du Souffle originel. Il y a donc un va et vient entre « Esprits 1 » – « Il » – « Esprits 2 », qui se traduit en chinois par la formule suivante : “(Il) 之所 往氣(Esprits 1)之所趨。這裡畫的是精氣(Esprits 2),是神仙,是長生不死的生命。”L’équivoque et le mystérieux sont remplacés, en chinois, par un ton taoïste évident, qui n’apporte aucun effet d’étonnement, si ce n’est celui de voir que tout cela découle de la plume d’un écrivain français.
Quelques autres exemples, toujours concernant la terminologie taoïste :
  • Et avec l’âge, vous savez bien que toute âme s’accroît…
你們知道,隨著時間的增長,體內之“”會不斷聚積…
  • …que toute intelligence exagère et déborde son degré…
體內的“”會多得溢將出來…
  • Tout danse, tout pétille ; toute est prêt à se rouler en spirale (comme le grand vent de l’Univers). Tout s’exprime donc dans l’esprit.
一切都在舞蹈,一切都在閃爍;一切都彷彿要旋轉起來(如同宇宙之風)。一切都是精氣神的運動。
  • …cette Peinture, tombée du pinceau d’un vieux Maître du temps de T’ang, par cela même qu’elle est, est esprit.
這幅畫是出自一位唐代老畫家的手筆;就憑這,它也成了

Il n’est évidemment pas question d’expliquer ici les liens compliqués entre les trois termes constituant la théorie centrale de la religion taoïste : 精、气、神, exprimés en français tantôt par « âme », tantôt par « intelligence », souvent par « esprit », dont la polysémie recouvre convenablement les différents champs désignés, permettant par ailleurs une équivoque proprement poétique. Remarquons seulement que, cette première peinture, toute « magique » puisqu’qu’elle est décrite et expliquée en français, une fois traduite en chinoise, se banalise sur le plan de la langue.

Le même phénomène de banalisation s’observe, de façon manifeste, dans une des Peintures dynastiques, intitulée Maîtrise logique de Song, où se flottent une abondance de termes propres au néo-confucianisme à l’époque des Song.

Autrement dit, les couleurs et les motifs chinois, qui étonnent les yeux français, ne conservent plus autant leur pouvoir d’étrangeté une fois transférés dans la langue chinoise, aux yeux des Chinois. Reste à savoir, si l’exotisme subsiste malgré la traduction ; s’il ne se trouve pas aussi, et surtout, ailleurs que dans la surface de peinture.

Oui, l’exotisme subsiste dans la traduction. Il résiste à la traduction. « Qu’elles sont étranges, ces Peintures de Segalen ! » m’ont dit en effet des lecteurs chinois, les mêmes qui trouvaient que le langage pictural de Segalen est assez chinois. Au fond, l’étrangeté qui se dégage de peintures de Segalen, pour un lecteur chinois, est née précisément de la familiarité que celui-ci maintient avec le décor. L’exotisme se déplace, une fois que le narrateur se met à parler en chinois, de la surface au fond, du signifiant au signifié.

Parmi les trois sections de Peintures, celle dont les Chinois se sentent le plus proche est Peintures dynastiques. C’est trois milles ans de l’histoire de Chine qui s’y déroule. Et il est amusant de constater que, autant mes amis français se montrent très sensibles aux Peintures magiques, au pouvoir ensorcelant du langage, autant mes amis chinois sont séduits par Peintures dynastiques, fascinés par l’étrangeté de ces images, où pourtant, tout leur semble familier : les dynasties, les empereurs, les événements… Ils ne peuvent pas s’empêcher de poser des questions : Pourquoi les Empereurs de fin de règne plutôt que les Empereurs fondateurs ? Comment interpréter ce ton ambigu et malicieux, qu’on hésite à définir comme élogieux ou ironique, qui règne sur une bonne partie de ces portraits ? … Car, en effet, bien que les images soient en apparence chinoises, l’esprit n’a rien de chinois.

« Tout cela, réaction non plus du milieu sur le voyageur, mais du voyageur sur le milieu vivant… » (Segalen, Œuvre complète, I, Robert Laffont, 1995, p.746) La traduction est la transmission de ce coup de choc, du voyageur sur le milieu, auquel un lecteur chinois ne peut échapper. Ils sont alors invités à interroger attentivement le texte, à s’interroger sur l’écrivain, sur son parcours, sur ses pensées, afin de creuser, dans la parole exotique même, ce qui est le Même et ce qui est l’Autre. A ce moment-là, seulement, l’exotisme de Segalen peut être véritablement traduit – je veux dire, dans l’acte d’interprétation venant du lecteur lui-même.
Huang Bei
Université Fudan de Shanghai
   

lundi 13 juin 2011

Premiers Ecrits sur l'art

Couverture du volume Premiers Écrits sur l'Art
Après un premier volume paru des Œuvres complètes de Segalen chez Honoré Champion (Chine. La Grande Statuaire), voici le second, paru ces jours-ci. Colette Camelin et Carla van den Bergh ont rassemblé les premiers écrits que Segalen a consacrés à l'art, soit :
  • Gauguin dans son dernier Décor 
  • Hommage à Gauguin, avec l'Avant-propos ; Génie d’Espèce en Gauguin ; Le Génie d’Archaïsme 
  • Pensers païens 
  • Le Maître-du-Jouir 
  • La Marche du Feu 
  • Gustave Moreau, Maître Imagier de l’Orphisme 
  • Quelques Musées par le Monde
Le volume a été conçu dans l'esprit qui préside à l'entreprise générale de cette édition : un établissement rigoureux des textes et un appareil critique complet et efficace.
Voici le texte de la quatrième de couverture :

« Voir le monde, et puis, ayant vu le monde, dire sa vision du monde » : telle est, selon Victor Segalen, la « justification » de l’entreprise artistique. Médecin de la marine, critique d’art, archéologue en Chine, Segalen a vu le monde ; poète en ses vers comme en ses proses, il a dit sa vision avec une force rare. La formule de Mallarmé à propos de Gauguin, « tant de mystère dans tant d’éclat », conviendrait aussi à celui qui fut un des rares écrivains contemporains à « comprendre » le sculpteur de la Maison du Jouir.
Les premiers écrits sur l’art de Segalen comportent en effet cinq textes suscités par l’œuvre et la vie de Gauguin, Gauguin dans son dernier décor, article publié au Mercure de France en 1904, Hommage à Gauguin, préface aux lettres de Gauguin à Georges Daniel de Monfreid, suivis d’un dialogue, Pensers Païens, d’un roman inachevé, Le Maître-du-Jouir, dont « Gauguin » est le héros et d’une nouvelle, La Marche du feu. Pendant qu’il écrivait ces textes, Segalen a rédigé une étude inachevée, Gustave Moreau, Maître imagier de l’orphisme, et une conférence sur la sculpture, Quelques musées par le monde. À l’occasion de ces textes critiques, il élabore sa propre poétique et prépare des fiction, ainsi Gauguin devient-il un personnage de roman, car, chez Segalen, les recherches érudites stimulent l’imagination.
Nous présentons une édition des textes entièrement revus d’après les manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale. Segalen, mort en 1919 à quarante et un ans, a laissé une grande partie de son œuvre en chantier, Le Maître-du-Jouir et Gustave Moreau, Maître imagier de l’orphisme par exemple. Les textes sont éclairés par des notes significatives issues des versions antérieures et par des projets, des notes préparatoires, des citations ou des lettres figurant dans le manuscrit original. Ces divers documents sont rassemblés en une annexe intitulée « dossier » à la suite de chaque texte.
La pensée et l’écriture de Segalen sont précisément situées dans le contexte intellectuel et artistique de son époque. Les notices et les notes en fin de texte apportent des précisions sur les livres, les tableaux, les sculptures au sujet desquels Segalen a médité pendant qu’il préparait son œuvre. Les textes présentés ici, à bien des égards, tracent un chemin qu’il poursuivra dans Peintures, Le Fils du Ciel et Chine. La grande statuaire.
Colette Camelin est professeur de littérature française à l’université de Poitiers. Elle s’intéresse à l’articulation entre l’écriture poétique et l’histoire des idées, la philosophie et les sciences. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à Saint-John Perse, notamment Éclat des contraires, la poétique de Saint-John Perse (CNRS éditions, 1998), L’imagination créatrice de Saint-John Perse (Hermann, 2007). Elle a publié des articles sur des œuvres de Senghor, Follain, Lorand Gaspar, Gamaleya, Temple, Modiano.
Carla van den Bergh est agrégée de Lettres modernes et l’auteur d’une thèse sur le verset dans la poésie française aux xixe et xxe siècles (Paris IV-Sorbonne). Elle a publié des articles de stylistique et d’histoire littéraire portant sur Segalen, Saint-John Perse et la poésie contemporaine.

mardi 10 mai 2011

Mitterrand et Segalen


On sait qu'en 1972, dans l'émission littéraire Italiques, le futur Président de la République dont on célèbre aujourd'hui les trente ans de l'accession au pouvoir, a été l'un des premiers à dire le plaisir tout particulier que procure la lecture de René Leÿs. Je vous invite à (re)voir l'extrait sur le site de l'INA, une façon, apolitique et segalénienne, de commémorer le Dix-Mai.

samedi 7 mai 2011

Victor Segalen sur France Inter

Marie Dollé a participé vendredi 29 avril 2011 à une émission sur France Inter à propos de Segalen et la Polynésie. Je reproduis ci-dessous le texte de présentation. Et je vous invite à écouter (si ce n'est fait) l'émission en cliquant ici.

Victor Segalen. Un grand écrivain français, mais dont la vie et l’oeuvre sont méconnus aujourd’hui.
Né à Brest en 1878, ce Breton aurait pu devenir instituteur comme ses parents, ou pharmacien, comme le désirait ardemment sa mère. Mais c’est un autre destin qu’il se choisit : médecin de la marine, un métier qui lui permettra d’aller voir ailleurs, de fuir la férule des prêtres qui l’étouffe, et, je cite « l’ennui grisaillant qui sourd de la petite Bretagne péninsulaire aux terres d’échiquiers verts et bruns sous un ciel surbaissé. »
En 1903, sa découverte de la Polynésie, « l’éblouissement éperdu de la lumière », des parfums, de la nature, et quelque chose qui peut sembler un cliché mais qui était bien réel : la liberté sexuelle des Tahitiens… C’est une révélation pour Victor Segalen, comme pour tous les Blancs qui alors débarquent à Tahiti.
Mais aussi, en même temps, Segalen est bouleversé par le spectacle d’une culture et d’une civilisation au déclin inéluctable, de l’agonie d’un peuple brisé par la colonisation occidentale… Tout cela constitue pour lui un choc sensuel et esthétique, violent et irréversible : Victor Segalen sera désormais écrivain.
Mais à partir de cette expérience physique et spirituelle (comparable à celle de Rimbaud et de Gauguin, comme lui « Maître-du-Jouir », un terme qui lui est cher), Victor Segalen va composer un livre étrange, « les Immémoriaux », un objet littéraire insolite, unique en son genre, très éloigné de l’exotisme colonial de l’époque. La « Belle Epoque » disait-on…

lundi 18 avril 2011

Colloque de Brest (26 et 27 mai 2011)


Voici le programme du Colloque qui se tient à l'Université de Brest les 26 et 27 mai prochains, en lien avec l'exposition de l'Abbaye de Daoulas.

 Mercredi 25 mai 
18h00 Signature à la Librairie Dialogues 

Jeudi 26 mai 
9h00 Ouverture par Yves Moraud, Président de l’Association pour le rayonnement de l’Abbaye de Daoulas, et interventions de : 
- Jean-Marc Hovasse, directeur du Centre d’études des correspondances et 
journaux intimes, UBO 
- Monsieur le Maire de Brest 
- Philippe Ifri, directeur général de l’EPCC Chemins du patrimoine en Finistère 
9h45 Jean-Pierre Zarader, L’exotisme de Victor Segalen ou la passion de la Différence 
10h15 Marie-Armelle Barbier, Donner le nom de Segalen à une institution, … un choix qui engage ? 
10h45 Marie Dollé, La mémoire dans « Les Immémoriaux » 
11h15 Pause-café 
11h45 Colette Camelin, « Le Maître-du-Jouir » : Gauguin, héros d’un roman de Segalen 
12h15 Déjeuner 
14h00 Philippe Postel, Victor Segalen, poète archéologue : l’aventure de la Grande Statuaire 
14h30 Xu Xiaobei, Route chinoise, chemin de l’âme 
15h00 Jean Balcou, La vision polynésienne de Segalen à travers Gauguin 
15h30 André Guillon, Le regard inversé 
16h00 Pause-café 
16h30 « Contact » de Anne Bihan, spectacle joué par Morgane Le Rest 
18h00 Réception à l’Hôtel de Ville, par le Maire de Brest 

Vendredi 27 mai 
9h00 « Mon île Marquises, d’héritages en métissages », film documentaire de 
Téaki Dupont-Teikivaeoho 
10h00 Karine Thépot-Caudan, L’exotisme de la femme tahitienne 
10h30 Sophie Gondolle, Segalen, ombres et soleil 
11h00 Jean-Luc Coatalem, Segalen, Gauguin, une démangeaison d’inconnu 
11h45 Jean-René Bourrel, Note hâtive à la gloire de Victor Segalen 
12h30 Clôture des Rencontres, par Yves Moraud 
13h00 Déjeuner 
15h00 Visite de l’exposition Rencontres en Polynésie - Victor Segalen et l’exotisme 
à l’Abbaye de Daoulas 

mercredi 13 avril 2011

Edmund Backhouse et René Leys

Edmund Backhouse
Deux articles parus dans le South China Morning Post, et transmis par Sebastian Veg (Fictions du pouvoir chinois. Littérature, modernisme et démocratie au début du XXe siècle. Paris: Éditions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales Press, 2008) proposent sinon un lien avéré du moins une singulière coïncidence entre le destin d'Edmund Backhouse, résident britannique à Pékin dans les premières années du XXe siècle et le personnage de René Leys, dont le modèle reconnu est Maurice Roy, de quoi brouiller encore davantage les pistes de ce roman à énigmes. 
Je vous livre le texte (en anglais) des deux articles de Mark O'Neill, publié dans l'édition du dimanche 3 avril 2011 :


  • A language master who avoided contact with Westerners

Sir Edmund Backhouse was born on October 20, 1873, in Richmond, Yorkshire, into a noble Quaker family. He studied at Winchester and Merton College, Oxford.
He failed to graduate but had a rare gift for languages, which enabled him to master French, Latin, Russian, Greek and Japanese.
He arrived in Beijing in 1898 and soon mastered Mandarin. Within a year, he was working as an interpreter for the British Foreign Service. George Morrison, a correspondent for The Times, said that no one approached him in the ease with which he could translate Chinese. He was to spend nearly all of the rest of his life in Beijing.
In 1903, the Chinese government appointed him professor of law and literature at the Imperial Capital University, which later became Peking University. He also learnt Mongolian and Manchu.
In 1910, together with another Times correspondent, John Bland, he published China Under The Empress Dowager, which gave the public the first comprehensive look at the most powerful ruler of the final Qing period (1644-1911) with an extraordinary amount of detail. It was an international best-seller.
In 1918, he inherited the family baronetcy from his father and became the second baronet.
He was different to the other foreign residents in many ways other than his prodigious language ability.
He lived far from the safety of the Foreign Legation Quarter, in a house in a Chinese district, adopting Chinese dress and customs.
He went out of his way to avoid contact with Westerners, sending servants ahead to ensure there were none there. He would cover his face when passing foreigners in a rickshaw.
One major reason for this was his open homosexuality, acceptable in Chinese society but not among the foreigners.
'Sir Edmund felt somewhat a stranger in his family and among the members of the British aristocracy of his time,' wrote Reinhard Hoeppli, a Swiss doctor and honorary consul.
'His wish to leave the uncongenial British atmosphere was very likely one of the reasons why he went to China, where he found just the milieu he was looking for and which corresponded to his interests and tastes.'
To earn a living, he worked for Western governments and companies.
Over the years, he donated 30,000 Chinese books and manuscripts to the Bodleian library of Oxford University. In 1940, after the Japanese occupied Beijing, he moved back into the legation quarter and lived in a single room in the British embassy compound.
Because of his age and failing health, he was exempted from going to a camp where the Japanese interred other citizens from Allied nations. It was while he was in the embassy that he made Hoeppli's acquaintance.
In the first half of 1943, he wrote Decadence Mandchoue and another autobiographical work Dead Past. In April 1943, he entered the French St Michael's Hospital, where he remained until his death on January 8, 1944.
He was buried in a Catholic cemetery outside Beijing, close to the graves of some of the famous Jesuits from the era of the Emperor Kang Xi (1661-1722).
New Century Press publisher Bao Pu said Backhouse wrote the two books from memory without resorting to notes or outside sources.
'It was extraordinary how he could remember so many names and places and quote classic texts at length, in Chinese, French and Latin, as well as English. It shows that he had an exceptional memory.'


Decadence mandchoue, les mémoires de Backhouse
publiés récemment à Hongkong



  • Murders at the Qing court

It was the morning of November 15, 1908 in a reception room of the Imperial Palace in Beijing. The Empress Dowager was meeting two senior officials, one of them a senior military officer, Yuan Shikai .
The two asked her to abdicate and appoint them as regents to the young emperor. Incandescent with rage, she ordered the two to be dismissed, tried and executed for treason. Yuan took out a six-chambered revolver and shot her three times in the stomach. As she bled profusely, she called for the two men to be beheaded and breathed her last. The eunuchs around her screamed their grief.
This remarkable account of the death of the most powerful person in the empire comes from a book, Decadence Mandchoue - the China memoirs of Sir Edmund Trelawny Backhouse, to be published in Hong Kong on Wednesday.
Born into a noble family in England in 1873, Backhouse moved to Beijing in 1898 and spent most of the rest of his life there, until his death in 1944. He wrote the memoir in the first half of 1943, at the suggestion of a Swiss doctor, Reinhard Hoeppli; the doctor had it typed out and gave one copy each to four libraries - the Bodleian in Oxford, the British Museum, Harvard College and the Bibliotheque Nationale in Paris. Backhouse asked that it be published after the death of Hoeppli, which was in 1973.
The memoirs have never been published. They were shown to an eminent Oxford University historian, Hugh Trevor-Roper, who chose not to publish them but instead to write Backhouse's biography, in 1976. He described Backhouse's life story and virtually all of his scholarship as a fraud. In 1983, however, Trevor-Roper's sense of judgment was put into question when he authenticated diaries by Adolf Hitler, later found to be forgeries.
Trevor-Roper's judgment discredited Backhouse in the eyes of scholars but Earnshaw Books and New Century Press have chosen to publish them, in English and Chinese respectively, believing that, even if they are not completely accurate, they contain valuable and unique historical material. Bao Pu, publisher of New Century Press, said: 'It is time for a wider audience to make their own decision about the value of this material.
'Backhouse had an extraordinary talent for languages and the best Chinese I have ever seen of anyone learning it as a foreign tongue,' he said. 'He had a mastery of the Beijing dialect which people from Shanghai and Guangzhou would not even be able to appreciate fully. He gives us texture and details of a life in Beijing and the imperial court at the end of the Qing dynasty that is forever lost.
'There will be enormous interest among Chinese in this book. No Chinese would have written it in the way that Backhouse did. Only a foreigner in his situation would make note of the details of everyday life that the Chinese themselves would have taken for granted,' he said.
In the appendix, Hoeppli says that the memoirs were 'fundamentally based on facts', even though age and confused memory may have led to some mistakes. 'Sir Edmund firmly believed he was stating the truth.'
It is undisputed that, due to his linguistic skills, education and connections to Beijing's diplomatic and journalist community, Backhouse had an access to the Qing court during its final 12 years that was unique among foreigners
Publishers on the mainland were eager to publish the book but would have had to remove a substantial amount of the content because of its explicitly sexual nature. Earnshaw Books wanted it to be published in its entirety.
'His accounts of the death of Emperor Guang Xu and the Empress Dowager the next day is the only unique alternative we have to the official version that offers such a detailed scenario,' Bao said.
Guang Xu died on November 14, 1908, one day before the Dowager Empress, at the age of 37, 10 years after she had removed him from power because she opposed his attempts at reform.
Official court documents and doctors' records at the time said that he died from natural causes after having been in poor health. In 2008, the government conducted an investigation on the 100th anniversary of his death. It conducted an autopsy on his corpse and found lethal levels of arsenic.
In Backhouse's account, the Dowager Empress sent a eunuch and a court attendant armed with revolvers, with a servant carrying stuffed pillows and cushions, with orders to kill him. They arrived at his room at 11pm and paid the sentries on duty 50 taels of silver each.
The two ordered the emperor to kneel to receive a decree from the Dowager Empress. His eunuch moved to shield him and was shot dead. The two then said that they had orders to take his life. They pushed him down on the bed, partially strangled him with a rope and then suffocated him slowly with pillows. When she heard, the Empress Dowager was delighted at the news. 'She was beaming with satisfaction and in the highest spirits.'
In Backhouse's version, palace eunuchs had bought arsenic from a Beijing drug store and put small doses in the sponge cakes which the emperor liked to eat. But the British legation asked to send a physician to examine him, a request which the dowager could not refuse; so she ordered his death by a quicker method.
As for the dowager, the official version is that she died of diarrhoea, aged 73. 'But she was in very good health,' Bao said.
Backhouse describes the woman who ruled China for nearly 50 years as a person who ordered the murder of people without a second thought in pursuit of power, a character similar to that of Lady Macbeth, with contempt for human life.
Her victims included political rivals, those whose policies she opposed and enemies within the palace, including the favourite concubine of her son and Emperor Tongzhi. In 1900, she had two eunuchs throw the woman down a well in the palace, after she had insulted her.
'At first sight, the Old Buddha (one of her names) gave the impression of a dear, good-natured, elderly lady ... now and then her expression changed as she alluded to some person or some incident which had caused umbrage, those eyes which could fascinate and terrify ... it was the basilisk glance before which China's greatest men had quailed, even her nearest and dearest Junglu himself.' Junglu was the grand secretary, the second most powerful person in the empire.
She ate light, slept badly, had an opium pipe night cap and liked her attendants to stay in her bedroom until she fell asleep.
'Whatever her incomparable charm, she could not have succeeded without unrivalled statecraft and the consummate flair which enabled her to catch the passing breeze and turn it to her purposes,' Backhouse said.
He said that the dowager had many lovers, of whom he was one. 'In certain respects, the Old Buddha was a disciple of Sade, although in others she was tender-hearted and pitiful.'
Chinese historians have described the dowager as sexually active; she may have taken foreign lovers for their novelty value. But many do not believe that a Chinese empress in her 60s would have taken as her lover a European in his 30s, and one who was openly homosexual.
The memoirs open with Backhouse's arrival in a male brothel, the Hall of Chaste Joys, in Beijing on an April afternoon in 1899. The street had many such brothels. The manager of the brothels presents two 'beautiful boys. Peony and Chrystanthemum, about 18 or 19, well dressed and perfumed.' They showed the foreign visitor all their attributes.
Backhouse was to spend much of his time in these male brothels. He found a culture far more accepting of homosexuality, across all classes of society, than the one he had left behind in England. In May 1895, author Oscar Wilde, the most famous homosexual in the country, had been sentenced to two years hard labour for 'gross indecency'.
The population of Beijing in the late Qing era was nearly 70 per cent male, many of them men who had passed the imperial civil service exam and came in search of work but could not afford to bring their families. Unlike in the west, there was no religious disapproval of homosexuality.
As a student at Oxford in the early 1890s, Backhouse had been an active homosexual and avid fan of the theatre. He was able to repeat these passions in Beijing, often with members of the Manchu aristocracy.
He said the Emperor Tongzhi died from syphilis contracted during a visit to a male brothel. According to the official record, he died in January 1875, at the age of 18, of smallpox. Backhouse's version corresponds with what many Beijing people say; the mention of a sexually transmitted disease as cause of death was taboo at that time.
Bao said that readers had to get over the psychological barrier of graphic descriptions of sex before they could appreciate the book's historical value.